Table ronde : Regroupement familial et litiges stratégiques à la CEDH et CDE

Le regroupement familial est un facteur essentiel pour la réussite de l’intégration des réfugiés dans leur pays d’accueil.[1] Pour les victimes de persécution ou de conflits, se réunir avec des proches – qui demeurent souvent dans des situations dangereuses dans le pays d’origine ou de transit – est une priorité.

En conséquence, les institutions internationales dotées d’un mandat de protection, telles le Haut Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés (HCR)[2], le Commissaire pour les droits de l’Homme du Conseil de l’Europe[3], et le Mouvement international de la Croix-Rouge promeuvent activement le regroupement familial.

Pourtant, dans la foulée de la “crise” migratoire de 2015-16, des Etats européens ont introduit une série de politiques extrêmement restrictives, dans le but de réduire le nombre de personnes qui rempliront les critères d’éligibilité pour le regroupement. Les restrictions introduites sont entre autres des exigences – financières, de logement et de délai – qui sont difficiles ou impossibles à remplir pour des réfugiés nouvellement arrivés.

Partout en Europe des avocats et des ONGs, dont le CSDM, ont contesté la légalité de ces barrières devant la Cour européenne des droits de l’homme (CourEDH), faisant valoir qu’elles représentent des restrictions disproportionnées du droit à une vie familiale selon l’art. 8, et/ou une discrimination prohibée selon l’art. 14 CEDH. La CourEDH a communiqué sept cas aux Etats concernés pendant le 1er semestre 2019, dont trois contre la Suisse qui se distingue par des pratiques particulièrement restrictives.[4]

Les juristes spécialisés en droit des réfugiés examinent désormais les possibilités et l’opportunité de saisir de plaintes individuelles le Comité des Nations-Unies sur les droits de l’enfant (CDE), dans les situations de regroupement familial. En effet, de nombreuses dispositions de la Convention portent sur cette question (voir p.ex. les art. 3, 7, 9, 10 et 22). Le CDE a déclaré que les obligations des Etats qui découlent des dispositions pertinentes de la Convention “devraient conditionner les décisions du pays hôte en matière de regroupement familial”.[5] La procédure de plaintes individuelles auprès de la CDE est disponible depuis le 24 juillet 2017. Pour la première fois, les juristes suisses sont confrontés à la question épineuse du choix de la juridiction – entre le CDE et la CEDH – pour les cas de regroupement familial.   

En 2017 le CSDM a conclu un accord pluriannuel avec le Bureau pour la Suisse et le Liechtenstein du HCR pour la promotion du regroupement familial des réfugiés en Suisse. Le projet comprend la formation de juristes et la prise en charge de cas stratégiques auprès des instances internationales. En 2019 le CSDM a conclu en plus un partenariat avec la Croix-Rouge Suisse pour la prise en charge de cas devant les instances nationales. Dans ce cadre, le CSDM mène des cas de regroupement familial devant le Secrétariat d’Etat aux migrations (SEM) et le Tribunal administratif fédéral (TAF).

Dans la mesure où ni la CEDH, ni la CDE, confèrent un droit subjectif  directement applicable spécifique au regroupement familial pour les réfugiés, les participants à la Table ronde seront invités à discuter des défis impliqués par les actions devant ces instances, avec le choix d’instance en point de mire.


[1] Voir Commissaire pour les droits de l’Homme, Conseil de l’Europe, Intervention de tierce partie in Dabo v. Suède, no. 12510/18, § 7: “Apart from inflicting hardship on beneficiaries of international protection, such problems [caused by family separation] have been recognised as getting in the way of their necessary steps towards integration, such as language learning, other education, and orientation towards the labour market. In many cases, only once the source of this problem has been removed, meaning that family reunification has been achieved, can the integration trajectory truly begin.”

[2] UNHCR & CSDM, Le regroupement familial des réfugiés en Suisse: Cadre juridique et considérations d’ordre stratégique, octobre 2017.

[3] Commissaire aux droits de l’Homme, Conseil de l’Europe, Réaliser le droit au regroupement familiale des réfugiés en Europe, juin 2017.  

[4] B.F. et D.E. c. Suisse, no. 13258/18; J.K. c. Suisse, no. 15500/18; Rinesa ZEQIRI c. Suisse, no. 20596/18; Dabo c. Suède, no. 12510/18; M.T. et d’autres c. Suède, no. 22105/18; M.A. c. Danemark, no. 6697/18; Mahamuud Muse Shire et d’autres c. les Pays-Bas, no. 9933/18.

[5] Comité CDE, General comment No. 6 (2005): Treatment of Unaccompanied and Separated Children Outside their Country of Origin, 1er septembre 2005, CRC/GC/2005/6 , § 83.