B.F. c. Suisse, Requête 13258/18
La Cour européenne estime que le régime suisse de regroupement familial ne peut exiger des réfugiés qu’ils « fassent l’impossible ».
L’arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme constitue une victoire majeure pour notre cliente, une réfugiée reconnue, et pour le droit fondamental de tous les réfugiés à être réunis avec les membres de leur famille immédiate en Suisse. Notre cliente a été séparée de sa fille pendant plus de 10 ans. La Cour européenne a estimé que le refus des autorités suisses d’autoriser le regroupement était disproportionné et violait son droit au respect de la vie familiale en vertu de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme.
Mme B.F. a fui l’Erythrée en 2012. Les autorités suisses lui ont accordé une admission provisoire (permis F) mais ont refusé sa demande de regroupement familial avec sa fille au Soudan au motif qu’elle ne remplissait pas les conditions financières requises pour un tel regroupement. Le Secrétariat d’Etat aux migrations (SEM) et le Tribunal administratif fédéral (TAF) ont catégoriquement refusé de tenir compte du fait que notre cliente était en incapacité de travail attestée par un certificat médical, ce qui l’empêcherait d’être réunie avec sa fille, son état de santé n’étant pas susceptible de s’améliorer.
Dans son arrêt, la Cour européenne des droits de l’homme a noté que le régime de regroupement familial de la Suisse est « unique » en Europe parce qu’il distingue différentes catégories de réfugiés (permis B et permis F) dont seules les premières peuvent être réunifiées avec les membres de leur famille sans exigences supplémentaires.
La Cour a estimé que la Suisse ne pouvait pas imposer un obstacle absolu au regroupement familial par le biais d’exigences formelles. L’article 8 de la Convention européenne exige des autorités suisses qu’elles examinent toutes les demandes de regroupement familial de manière individualisée et sérieuse, en tenant compte des faits pertinents de l’affaire. La pratique actuelle de la Suisse consistant à émettre des refus généraux fondés sur le non-respect des exigences financières viole donc les droits fondamentaux des réfugiés dans la mesure où leur situation individuelle n’est pas prise en compte.
Dans notre cas, la Cour a estimé qu’elle n’était pas convaincue que les autorités suisses avaient « ménagé un juste équilibre » entre les intérêts en jeu et n’avaient pas correctement pris en compte le fait que Mme B.F. n’était pas en mesure de satisfaire à l’exigence financière sans faute de sa part et qu’il existait des obstacles insurmontables à ce qu’elle puisse jouir d’une vie familiale dans un autre pays. La Suisse est condamnée à verser 10’250 EUR pour préjudice moral à notre cliente et à sa fille en raison de leur longue séparation injustifiée.